« Jésus de Mazameth »

Ecrit pour le magazine « Saxifrage » en décembre 2017.

« JESUS DE MAZAMETH »
(ou « Crèche-vitrine à Mazamet »)

Dans bien des petites bourgades, on trouve dans le centre ville historique, des petites rues, étroites et sombres, que les rénovations successives ne font qu’effleurer. La rue du Moulin à Mazamet est de celles-ci. Elle relie la rue de la république au cours René Reilles, artère historique où les cafés côtoient l’église, les kebabs et les dernières agences bancaires. Au fils des années, les commerces se sont resserrés et les vitrines de la rue du Moulin se sont vidées. L’épicerie a fermée. Ne reste qu’un petit salon de coiffure. La voie n’en reste pas moins très empruntée les jours de marchés et autres jours de liesse collective. Dans l’hétéroclite foule qui la remonte, ce dimanche de décembre, on peut apercevoir quelques badauds, s’attarder et se pencher à la vitre d’une des maisons.
Depuis plusieurs années, au numéro 16, une singulière crèche de presque deux mètres sur un et composée d’une bonne centaine de santons, a envahi l’unique fenêtre du rez de chaussée. Bien qu’il y dorme dans ses langes, on y trouve rarement la future star des évangiles et ses géniteurs au premier coup d’œil. Cette année, la scène qui saute aux yeux, présente de petits personnages de bois, entassés sur des barques, errants sur une mer méditerranée barrée de plusieurs fils tendus entre deux phares. Contrairement à tous les autres personnages présents, ils n’ont pas d’habits, pas de visages, pas d’accessoires, qui laisserait deviner un métier ou une quelconque passion. Juste des corps anonymes perdus en mer.
« J’aime bien adapter cette histoire qui a été maniée et remaniée, à la vérité actuelle » explique Eric Vergnol dans sa longue barbe grise. « Cette année, Joseph est palestinien. Marie est japonaise » sourit Claudine. L’année précédente, ce couple de retraité – lui d’une carrière dans l’aide sociale, elle de l’enseignement d’histoire géographie- avait installé un camps de gitans et plusieurs roulottes. Une autre année, un centre de rétention. Une autre encore, sept crèches de nationalités différents. L’idée, ici n’est donc pas qu’évangélique.

10 ANS DE CRECHE PUBLIQUE
Il y a dix ans, le couple s’installe dans la feu cité lainière. Ils ont déjà quelques vieilles attaches familiales dans la montagne noire. Lors de leur premier noël, ils décident d’arborer leur crèche à la fenêtre du salon où ils collent parfois des affiches concernant divers sujets politiques. « La première année, les gens étaient gênés de regarder chez quelqu’un » s’amuse Claudine. Depuis, le fait est installé. Un voisin a sonné pour offrir ses santons. Un curé, précisé que le Jésus nouveau-né, ne devait théoriquement prendre sa place que le 24 au soir. Une lettre anonyme, demandé où donc était le drapeau français à l’heure de l’unité nationale. Les petites voisines interpellent Claudine dans la rue pour savoir si il y aura encore les « petites poupées » cette année. Le quartier semble au jus.
« Nous l’avons toujours faite. Autant la partager » lance Claudine. Chaque automne, après discussion, un nouveau décor en polystyrène est monté, peint et recouvert de papier coloré. Tous les santons ne prennent pas place sur l’installation car au fil des années, la collection s’agrandit. Les amis en ramènent de voyages. Le couple en débusque au cours de ses pérégrinations. « Chaque personnage a pour nous, une histoire particulière » explique Eric en me désignant un « schlitter » vieux métier de ramasseur de bois de l’est de France, qu’il l’avait rencontré lors d’un séjour de réinsertion. Ici le « caganère », personnage grotesque des crèches pyrénéennes découvert lors d’un week-end en Ariège, et dont, la particularité tient à une envie de se cacher dans les fourrés pour satisfaire un besoin pressant. Là, un mareyeur pour les origines girondines de Claudine. Plus loin, un cordonnier, métier des grands parents d’Eric. Si les personnages relèvent de l’intime, le message reste collectif.

MILITANTS
A bientôt 70 ans, Eric évoque volontiers son goût pour les autres. Lui, le fils de cadre de banlieue parisienne, que sa mère, un jour de 62, révoltée par les exactions du préfet Papon et de la police envers la communauté algérienne, a pris dans des bidonvilles, guidée par la seule volonté d’aider les démunis. Voilà le point départ d’une vocation qui l’a amené de Nanterre à Marseille, sur l’île de Madagascar, mais aussi à gérer des centres d’accueil pour SDF, ou d’aides aux alcooliques. « J’ai eut la chance de pouvoir concilier ma vie professionnelle avec ma vie militante » avoue t-il.
Celui qui un temps, a entamé des études de théologie avant de se raviser en 68, connaît bien les religions chrétiennes et se réserve le droit de les critiquer comme de les saluer, même si il admet ne plus vouloir mettre le moindre orteil dans une église comme dans un temple. « Jésus est né dans une étable parce que ses parents ont été rejetés de la ville. Après sa naissance, Marie et Joseph ont fui les persécutions du roi Hérode, et été obligés de s’en aller en Égypte. Si les frontières étaient fermées comme elles le sont maintenant, Jésus n’aurait vraisemblablement pas survécu » lance t-il devant son installation.
Les droits de l’homme et des étrangers, Eric et Claudine les défendent activement depuis plusieurs années. On peut fréquemment les apercevoir aux cercles du silence qui se tiennent deux samedis par mois dans le centre ville. Pendant une heure, immobile, le groupe attire l’attention du quidam, sur les multiples entorses à la liberté qui crèvent notre monde. Un militantisme qui tient de l’engagement public, du travail bénévole, patient et silencieux, plus que du grand cri au coin d’une table enguirlandée.
Le temps d’avaler un verre de guignolet, je laisse Eric et Claudine retourner à leurs petits-enfants qu’ils gardent pour les vacances. Dehors, la rue du Moulin, toujours aussi étroite, toujours aussi sombre. Un stop, et déjà le parking du 8 mai, bondé en cette période de papier cadeau. Les pancartes d’agences immobilières s’empilent sur les volets décaties d’une vieille bâtisse de notable découpée en appartements bon marchés. Plus loin, une piste de luge en plastique se dresse au dessus de quelques chalets pliables et de sapins enneigés à la bombe de peinture. Bien sur qu’il faut que les enfants rigolent…Mais Ibrahimovitch a quitté la France et Jésus n’ayant toujours pas signé son retour en Ligue 1, il serait idiot de croire que le bibendum de Noël fasse un crochet pour sauver le monde. Patience. Schwarzie est en train de faire son trou au Nation Unies.

Jérôme Pinel (Saxifrage – Dec 2016)

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