A J + 16
C’est peut-être un détail pour vous, aurait dit le chanteur. Un autre petit bout de ferraille sur du bois ou du béton dans une ville qui en est déjà bien remplie. Mais tout tout tient à l’endroit. A l’idée derrière le geste. Et celle-ci n’est rien qu’une envie de repousser, de gêner, de cacher, de fermer les possibles.
On les a vus arriver les anti-skates, à la fin du siècle dernier, quand lassés que les gamins noircissent bruyamment les murets et les bancs de leurs chères places publiques avec leur armada de planches à roulettes et de patins en lignes, les services techniques ont sollicité les industriels de de la quincaillerie, qui leur refourguaient déjà divers gadgets anti-volatiles. On casse la ligne et ils iront voir ailleurs. Ça marche avec le pigeon. Ça marchera avec le jeune. Réussite, le « jeune » a effectivement décampé dans vers d’autres spots. On peut compter sur sa témérité et sur sa connerie créative pour trouver de nouvelles idées de figures. On n’arrête pas le jeune con. C’est tant mieux.
Ensuite, il y a l’anti-sdf. Parce qu’on a beau dire que le petit rajout ne sert pas à çà. C’est quand même un peu le cas. Non, madame, ce ne sont pas juste des bancs avec trois places délimitées par de beaux accoudoirs en métal… Ce sont des bancs sur lesquels, on ne peut pas s’allonger à moins d’être contorsionniste ou fakir de haut niveau. Mais même en Avignon, en plein mois de Juillet, je n’ai pas vu un saltimbanque s’y risquer.
Avec le banc public à double-accoudoir, on reste encore dans le grossier, mais depuis les 90’s, l’affaire a viré plus subtile, plus sournoise. Elle s’est professionnalisée. Avec des bancs un peu courbés pour qu’aucun humanoïde ne puisse s’y allonger sans glisser. Des bancs biscornus. Des traverses incurvées à hauteur de fesses sur les quais de tramway qui prennent moins de places et sont bien trop dangereux pour roupiller dessus. Le banc, avec son assise toute plate est en voie de disparition, madame… Et ce n’est pas le réchauffement climatique.
Dommage, j’aime bien m’allonger en ville de temps à autres quand j’en ai ras le bol de marcher. Comme le pigeon ou le jeune à roulette, le SDF est plus souple qu’il n’y paraît. Il ira dormir ailleurs… Loin de la jolie place ou du joli parc. Parce qu’à priori, il ne s’évapore pas avec la lune pour revenir avec le soleil. Désolé, madame.
En 2019, la ville contrôle, nous guide dans ce que nous pouvons faire. Designers, architectes, polices, services techniques, s’y mettent à plusieurs pour gérer les flux d’individus. Ils ont déja inventé la cité dortoir à la française dans les années 60. Une grande réussite. Le célèbre Stark (le désigner madame, pas le super-héros) voulait revenir à la fonction première de l’objet. Mais on pourrait s’amuser à prendre le problème dans l’autre sens, et se laisser aller aux possibles du mobilier urbain, et ainsi inventer des bancs transats sur balancier, avec des copings (tubes en métal que l’on retrouve sur les skateparks), des parasols et des porte-gobelets. On pourrait aussi installer des chevalets sur les places publiques pour que les peintres posent leur toiles. Chevalet qui pourrait faire aussi office de garage à vélo. Mille fonctions à trouver… Mais je m’égare. Je crois que les métropoles de nos pays aiment peu voir les gens s’attarder dans la rue. Pourtant, si on veut avoir quelque chose à filmer… il va bien falloir qu’il s’y passe des choses.
Quoi qu’il en soit, qui peut imposer à quoi un objet doit servir. Si le balai, chasse la poussière, il lui arrive fréquemment de servir de guitare factice, de pied de micro, de mat de tipi, d’arme de Shaolin, de perche, de cale… Ici en Avignon, où je scrute un jour deux, les espace entre les gouttières et les murs pour accrocher des affiches, on est en droit de s’interroger sur la fonction première de l’outil. Et je ne vous parle pas des jeunes saisonniers, qui rivalisent d’ingéniosité pour tirer des guirlandes de spectacles primés à Tatouine-Les-Bains dans toute la cité des papes.
Les « arts de rue », ont montré à la classe dirigeante comment utiliser l’architecture hors du plan. Les publicitaires new-yorkais ne se sont-ils pas maudits de n’avoir pas eu l’idée plus tôt, lorsqu’ils ont vu les graffeurs peindre des trains et des bus pour faire voyager leurs fresques, leurs blases et leurs messages dans toute la ville… ? Et que voyez-vous aujourd’hui passer dans les couloirs de bus ?
Pour le dire en peu, madame, j’emmerde le désigner comme le responsable de l’aménagement de la ville, parce qu’à la fin de leur raisonnement, un nuage n’est que vapeur d’eau, les ombres d’un arbre ne dessineront jamais de rêves en noir et blanc sur un vieux mur décrépi, un trottoir ne sera toujours qu’un espace pour piéton en mouvement, cette simple et éventuelle force de travail à pouvoir d’achat numéroté.
Oui madame, si certains de mes camarades d’école jouent aujourd’hui les citoyens modèles outrés devant le moindre tag, quand à 15 ans, ils placardaient des posters de Tupac et de skate dans leur chambre, tant pis pour eux…
Mes collègues et moi. encore, nous jonglerons avec des balles de golf, skaterons sur des bancs, surferons sur des containers poubelles, jouerons les mousquetaires avec des manches à balais, chanterons de la poésie avec des mots d’argot qui ne riment pas selon Boileau, repeindrons le bitume à la craie, gratterons des cris sur des pylônes, passerons nos têtes par le toit ouvrant les soirs de finale, sauterons par dessus les escaliers, danserons sur des barrières, rêveront sur des bords de marches… Comme ça. Pour le fun. Pour la beauté du geste… Et nous vous demanderons même pas votre avis… Ni à vous, ni au maire.
Et sinon, madame, les « Monologues d’un Code-Barres », la performance de poésie, qui tape dans le théâtre comme le récital poétique, à la manière d’un chien dans un jeu de quilles, avec son personnage en jean troué qui attend son train sur un vieux banc qui se transforme en tant d’autres choses, c’est toujours au théâtre des Lila’s (Rue Londe) à 13 heures et jusqu’à mercredi 24, en Avignon. Dites-le à monsieur. On est déjà le 20.