J’étais parti vers le marché d’un pas tranquille. Il faisait beau ce samedi d’octobre. A peine avais je posé un pied sur l’avenue principale du patelin que l’étrange phénomène débuta. D’abord une impression d’apercevoir au stop dans une berline noire, la petite rousse aux énormes seins que j’avais peloté pendant une quinzaine lors de mes vacances d’été de seconde avant de me refuser à aller plus loin tellement je m’écœurais de jouer les amoureux transis.
Plus loin dans une rue piétonne, je tombais nez à nez avec mon « ex » si on garde ce principe de dernière avant actuelle quand bien même la relation remonte à plus de douze ans. La petite brune s’accrochait désormais au bras d’un collègue de collège. Je les saluais tous les deux prenant de courtoises nouvelles, la sentant bien plus que lui sur la retenue quand à faire étalage de nos vies. Une fille intelligente, je l’avais toujours su. Je fuyais vers le maraîcher.
Le temps d’acheter trois tomates, voila qu’arrivait dans ma direction et sur mon trottoir, au commande d’une poussette flambant neuve, le doux visage de celle dont j’avais entouré le nom sur ma photo de classe de CE1. Nos regards se croisèrent, et nous sommes tous deux retournés -enfin surtout moi – dans la cour de l’école Jaurès, à ce temps béni où nos frimousses aux rebords des fenêtres, s’interrogeaient en silence pour un effroyable et néanmoins magique, pointu. Disgresser au détour d’une boulangerie blindée de populace sur la notion de désir amoureux à la petite enfance, me semblant une ineptie quasi suicidaire, je me contentais de ce bref hochement de tête mis au point par des années de pratique dans les bars de la ville. A peine nos deux lignes d’épaules se détachaient que sur le siège passager d’une new beetle noire garée devant la banque, je reconnaissais cette moue bêcheuse avec qui j’avais flirté toute ma troisième m’escrimant durant des heures et entre deux accrochages d’appareils dentaires, sur les agrafes de son soutien-gorge .
Ce tourbillon de flash-backs commençait sérieusement à me dérouter. Sachant que sans être un Casanova, il me restait encore quelques dossiers, et pas des plus glorieux, je m’extirpais des étals par une rue transversale et remontais vers mon appartement. Timing fatal. Je tombais à l’entrée de la salle de fitness sur ces yeux verts sous frange blonde qui m’avaient séché la bouche et piétiné le cœur pendant une bonne partie de mon adolescence. Quelques dix-huit années plus tard, mon blaireau de palpitant dans un réflexe pavlovien, marquait le coup et s’emballait encore dans une dangereuse cavalcade. Quelque part derrière le bazar, la raison me klaxonnait que les grandes victoires consistaient à accepter les défaites, que la vie était trop courte pour s’enivrer de mélis-mélos romantiques, que les films de Van Damne n’avaient pas tous bien vieillis, que Meg Ryan avait raté sa chirurgie esthétique, que s’envoyer des rasades de nostalgie adolescente ne pouvait être qu’un mauvais plan quand on était déjà en retard sur sa déclaration d’impôt. Elle, derrière son pare-brise, braqua ses roues vers le parking. Hochement de tête. Petit signe de main avec sourire. Pénétration dans l’air à peine ralenti des deux protagonistes. Net. Adulte. Responsable. Navrant.
Il était grand temps de rentrer. Pour une sortie visant une baguette de pain et quatre tomates, l’addition commençait à faire lourd. Je traçais nez en l’air, m’efforçant de contempler le ciel et ses particularités du jour, évitant soigneusement de regarder les véhicules dans ma direction, me demandant si la miss à la maison ne me réservait pas elle aussi un tour dans la même thématique. Je m’en surpris à penser que l’on était en octobre, encore loin des fêtes de fin d’année avec tous les « expats» du coin qui s’en revenaient saluer leurs parents et se promener aux alentours de leur bon vieux lycée. La suite du trajet me laissait sur une question. Comment faisait les autres ?
(Jérôme Pinel 2018/2020)
– Même si basé sur des expériences réelles, ce texte reste une œuvre de fiction.
Toute ressemblance ne saurait qu’être fortuite-